Lettre à Madame Octavie MODERT
Ministre de la Justice
Luxembourg, le 16 août 2013
Copie à Monsieur Laurent Mosar,
président de la Chambre des Députés
Concerne : le projet de loi 5351 « suspendu » portant modification de la loi modifiée du 10 août 1992 relative à la protection de la jeunesse
Madame la Ministre,
Suite à l’adoption de la loi portant modification de la loi du 8.9.2003 sur la violence domestique (projet 6181), il est temps de s’intéresser à nouveau au projet de la réforme de la loi modifiée du 10.08.1992 relative à la protection de la jeunesse (projet 5351) déposé en 2004. Rappelons qu’en date du 8.03.2011, le Conseil d’Etat avait rendu un avis unique pour les projets de loi 6181 et 5351, considérant que les textes étaient liés. En outre, la Commission juridique de la Chambre retenait en son procès-verbal du 26.01.2011, qu’elle convenait « de suspendre l’examen du projet de loi 5351 et de l’avis du Conseil d’Etat afférant jusqu’à la nouvelle proposition de texte par le Ministre de la Justice. »
Dans le cadre de sa mission de surveillance de l’application de la Convention Internationale des droits de l’enfant, l’ORK voudrait donc se renseigner sur l’avancement des travaux de rédaction du Ministère. En effet, il est essentiel que les autorités nationales respectent l’esprit de la Convention et veillent à son application efficace. Le retard de l’adoption de la réforme de la loi sur la protection de la Jeunesse pose toujours et essentiellement problème en pratique sur plusieurs points :
Dans nos pays voisins, l'intervention des pouvoirs judiciaires a, ces trente dernières années, été de plus en plus délimitée afin de mettre en place des mesures socio-éducatives et permettre aux familles de continuer à remplir elles-mêmes leur rôle éducatif. Avec l’adoption de la loi sur l’aide à l’enfance, le Luxembourg commence à participer à cette évolution, mais l'attitude globale de la loi sur la protection de la Jeunesse actuelle consiste toujours à vouloir protéger les enfants de leurs parents. La nouvelle loi devrait donc explicitement donner la priorité au maintien du jeune dans son milieu de vie plutôt que de recourir aux mesures de placement. La loi pourrait énumérer (à l’instar de la loi belge) différents facteurs que le juge devrait tenir compte pour décider de la mesure qui serait la plus appropriée :
Notons qu’en pratique, le juge tient déjà compte de ces critères, mais une énumération permettrait à la famille une plus grande transparence de la situation. Notons qu’il est important que la famille collabore et elle ne peut le faire que si elle se rend compte de l’utilité de la mesure pour le mineur.
Dans cet ordre d’idées, l’ORK recommande que soit soutenue la mise en place d’une plus large gamme de services et d’institutions chargés de mettre en œuvre les mesures ordonnées par le Juge de la Jeunesse, pour assurer un accompagnement éducatif dans le milieu de vie, organiser la médiation, les concertations restauratrices en groupe, le travail d’intérêt général….. Les mineurs ne sont pas passibles de peines mais bien de mesures, de nature éducative.
Il nous semble que l’Office National de l’Enfance et les instances judiciaires sont entrain de trouver leurs marques et que la collaboration, entre autres à travers les coordinateurs de projets d’intervention, fonctionne bien.
Ces mesures de nature éducative peuvent déboucher sur une privation de liberté, qui est toujours vécue comme une peine par le jeune, ainsi que par ses parents et par la société. L’ORK rappelle que le statut de l’enfant juridique privé de sa liberté a été explicitement reconnu dans les lois et normes internationales en matière de droits de l’Homme depuis la seconde partie des années 80 : Règles de Pékin (1985), Convention des droits de l’Enfant (1989), Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté (1980), Règles Européennes pour les délinquants mineurs (2008). L’ORK souligne que ces lois internationales font appel à limiter les privations de liberté des enfants. Toute mesure de placement, d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement ne doit être prise qu’en dernier recours et uniquement pour la durée la plus courte, tout en tenant prioritairement compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce principe implique que notre législation (et politique) nationale devrait assurer qu’il y ait suffisamment d’alternatives adéquates disponibles. Ainsi l’ORK recommande p.ex. d’établir un cadre légal clair afin d’améliorer la transparence des lieux où des enfants sont privés de liberté et de protéger ainsi efficacement leurs droits.
Effectivement, l’ORK et Madame Lydie Err, la médiatrice des droits, n’ont pas les mêmes critères pour définir un «lieu privatif de liberté». Madame Err continue à définir le Centre socio-éducatif de Dreiborn, ainsi que les foyers FADEP et foyers ordinaires comme des lieux de « détention », dont elle serait chargée d’une mission de contrôle conformément à la loi du 11 avril 2010 portant notamment désignation du médiateur en tant que mécanisme national de prévention contre les tortures. Cette interprétation met en question et en danger le travail social et éducatif avec les enfants placés et leurs familles. Une telle stigmatisation ne semble pas appropriée à l’ORK, et elle ne résoudra pas le problème que souvent le placement judiciaire est mal vécu par les enfants et/ou les familles. Bien au contraire elle rendra encore plus difficile la coopération des familles avec les acteurs psycho-socio-pédagogiques.
La nouvelle loi du 30 juillet 2013 sur la violence domestique reconnaît seulement indirectement que le fait d'avoir été témoin d'actes de violence conjugale constitue une forme de violence morale et psychologique, mais le législateur, sur avis du Conseil d’Etat, n’a pas prévu dans ce même texte des mesures de protection particulières pour les enfants. L’enfant n’est pas automatiquement considéré comme victime. Pour protéger l’enfant il faut encore et toujours entamer une deuxième procédure, saisir le juge de la Jeunesse, qui est seul compétent en matière de protection de la Jeunesse. L’ORK estime que l’enfant n’est pas assez protégé en raison de la lourdeur de la procédure et recommande d’instaurer des mécanismes automatiques entre la loi sur la violence domestique et la loi sur la protection de la Jeunesse. Pour l’argumentation de l’importance de considérer les enfants comme victimes directes d’une violence conjugale, l’ORK revoit à son avis 6181/06 du 7.6.2011.
L’arrêt de la Cour Constitutionnelle 98 du 7 juin 2013 confirme que l’article 11 de la loi relative à la protection de la Jeunesse, « en ce qu’il opère, en cas de placement d’un mineur en dehors du domicile de ses parents, tuteur ou gardiens, transfert automatique de l’exercice de la quasi-totalité des attributs de l’autorité parentale à la personne ou à l’institution d’accueil », n’est pas contraire à la Constitution. Le transfert automatique est donc toujours d’application. Pour les familles concernées, ainsi que pour les professionnels du secteur, cet arrêt représente un grand pas en arrière dans leur travail thérapeutique. Depuis des années, les professionnels, les directeurs des centres d’accueil, la Commission Consultative des Droits de l’Homme, Madame la médiatrice rappellent l’importance de réformer ce point qui bloque quotidiennement le travail sur le terrain, respectivement le travail dans l’intérêt de l’enfant. En effet, l’ORK considère qu’il ne convient pas, sauf motifs graves, d’exclure les parents de toute décision concernant leur enfant dans le cas d’un placement institutionnel judiciaire. On pourrait concevoir que l’autorité parentale puisse, si l’intérêt de l’enfant, l’exige, s’exercer de manière conjointe entre l’institution et les parents.
L’ORK insiste sur l’importance et l’enjeu de la réforme et espère que vous allez nous soutenir dans l’intérêt d’une meilleure protection pour l’enfant en mettant tout en œuvre pour le dépôt d’un nouveau texte dans les meilleurs délais. L’ORK est bien entendu à votre disposition pour toute question et explication supplémentaires.
Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre plus haute considération.
Pour le Comité
René SCHLECHTER
Président de l’ORK
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