Synthèse : Unissons nos efforts pour les défis majeurs
Le rapport 2024 de l’OKAJU met en lumière des défis actuels majeurs concernant les droits et le bien-être des enfants au Luxembourg, articulés autour de quatre axes prioritaires qui appellent à une action urgente et coordonnée. Ces quatre axes prioritaires (cf. A, B, C et D) sont interconnectés et nécessitent une approche holistique et transversale, un engagement politique fort et une mobilisation de tous les acteurs de la société.
A. La santé mentale des enfants et des adolescents
La santé mentale des enfants et des adolescents au Luxembourg soulève des inquiétudes croissantes tant d’un point de vue spécifique (cf. situation de pauvreté, de migration, de besoins spécifiques, LGBTQI+, etc.) que développemental (cf. 1000 premiers jours, l’enfance et l’adolescence). Il y a urgence à agir en matière de prévention, de détection et d’action coordonnée pour servir la santé mentale de tous les enfants présents sur le territoire. Pour ce faire, l’OKAJU exhorte les pouvoirs publics à développer un véritable monitoring favorisant le recueil de données solides et holistiques dans le but d’évaluer et d’orienter l’action politique et publique au bénéfice des citoyens de demain. Investir dans ces actions aujourd’hui, c’est donner à chaque enfant, sans exception, le droit de vivre et de se développer, c’est également respecter les engagements que l’État a pris au niveau international, européen et national.
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B. Vers un système intégré de protection de l’enfance
Dans le cadre des réformes qui s’annoncent en réponse à une protection adaptée selon les standards internationaux et européens, il importe de transformer le système actuel de protection de l’enfance au Luxembourg, encore trop fragmenté.
Malgré des avancées significatives ces dernières années, notamment à travers le cadre de référence national de l’aide à l’enfance et le Plan d’action national pour les droits de l’enfant 2022-2026, des discontinuités et défaillances systémiques persistent. Les témoignages recueillis auprès de victimes et survivant.e.s ainsi que de professionnels, d’experts et d’autorités illustrent les failles du système : manque de coordination intersectorielle, remise en question systématique de la parole de l’enfant, absence d’approche préventive cohérente. La primauté parfois accordée aux droits parentaux au détriment de l’intérêt supérieur de l’enfant constitue également une préoccupation majeure. Le cloisonnement entre l’aide volontaire et l’aide sous injonction de la justice reste particulièrement problématique. En effet, le chapitre souligne les difficultés rencontrées par les enfants placés et les enfants victimes de violence, notamment en termes d’adaptation de la prise en charge et de continuité de cette prise en charge. Dans ce contexte, penser une approche intégrée permettra de répondre aux besoins des enfants et à lutter contre toute forme de violence, malheureusement trop présente sur le territoire.
La réforme du cadre légal actuellement en cours représente une opportunité historique. L’OKAJU préconise plusieurs changements structurels majeurs, comme par exemple la création d’un Centre national d’accueil des victimes intégrant un Barnahus, l’élaboration de protocoles clairs concernant le secret professionnel partagé et l’établissement d’une instance de coordination centrale.
Le chapitre s’appuie sur des exemples internationaux de pays ayant développé un système intégré. Il souligne également l’importance de la participation des enfants dans ce processus de transformation, comme l’illustrent les résultats de la consultation européenne des enfants sur les systèmes intégrés de protection de l’enfance.
La transition vers un système intégré nécessite un changement culturel profond dans la manière dont la société luxembourgeoise appréhende la protection de l’enfance. Elle requiert une formation approfondie standardisée des professionnels, le développement d’une approche axée sur les traumatismes, et une meilleure coordination entre tous les acteurs impliqués. Il est fait état de l’importance d’une approche holistique qui prenne en compte non seulement la protection immédiate des enfants, mais aussi leur rétablissement et leur développement à long terme.
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C. La protection des enfants contre
les violences et autres préjudices en milieu numérique
L’environnement numérique pose des défis croissants pour la protection des enfants, tant en termes de violences que de préjudices liés à l’usage des outils numériques. L’augmentation alarmante du cyberharcèlement, de la sextorsion, et des sollicitations malveillantes en ligne en sont les principales illustrations. Les réseaux sociaux, en particulier, facilitent l’accès des prédateurs aux enfants, tandis que l’intelligence artificielle crée de nouveaux risques, notamment avec la création de contenus d’abus sexuels générés artificiellement. L’exposition aux écrans et notamment l’hypersexualisation des enfants découlant des réseaux sociaux s’accompagnent d’impacts significatifs sur la santé physique et mentale, ainsi que sur le développement : troubles du sommeil, problèmes de développement cérébral, risques accrus de dépression et d’anxiété. La normalisation de comportements sexualisés précoces et l’exposition d’enfants à la pornographie et au matériel d’abus sexuels d’enfants (CSAM) sont particulièrement préoccupantes, tout comme leur lien avec l’émergence d’une “culture de l’abus” et l’augmentation de violences sexuelles entre mineurs d’âge. Dans cette perspective, une approche de prévention en santé publique (prévention primaire, secondaire et tertiaire) y relative devient nécessaire et urgente à mettre en place.
Cette approche doit pouvoir s’appuyer sur des actions concrètes, comme par exemple, le renforcement des systèmes de vérification d’âge, l’introduction d’un âge minimum légal pour la possession de smartphones et une supervision parentale ou adulte progressive. Complémentairement et dans la lignée d’une approche intégrée, il est essentiel de lier les services de protection de l’enfance avec ceux de la cybersécurité pour servir une protection en ligne.
Enfin, ce chapitre insiste sur la nécessité d’une action coordonnée entre tous les acteurs de la société : pouvoirs publics, écoles, parents, et professionnels de la santé et de la protection de l’enfance.
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D. Les enfants en risque de pauvreté
Avec un enfant sur quatre vivant sous le seuil de pauvreté au Luxembourg, dont 48% dans les familles monoparentales, la situation est particulièrement préoccupante. Le Luxembourg figure parmi les pays européens ayant les taux de pauvreté infantile les plus élevés, une situation paradoxale au vu de la richesse du pays.
L’analyse du système REVIS (Revenu d’inclusion sociale) révèle que 42% des bénéficiaires sont des enfants et des jeunes. Il est mis en lumière des «Armutsfallen» (pièges à pauvreté) créés par le système lui-même : accumulation de dettes, hypothèques sur le logement, sanctions affectant toute la famille. Le non-recours aux aides existantes reste problématique.
Une refonte du système d’aides s’impose pour le rendre plus accessible et efficace, avec une attention particulière portée aux familles monoparentales et à l’accès prioritaire aux structures de garde d’enfants pour les familles en situation de précarité.
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E. La promotion des droits de l’enfant
L’OKAJU déploie une large gamme d’activités de formation, d’information et de promotion, illustrant la diversité des sujets abordés, des publics cibles et des formats d’intervention choisis. Ces initiatives reflètent l’engagement de l’organisation à couvrir un champ d’action vaste et varié, en s’adaptant aux besoins spécifiques de chaque groupe. Que ce soit à travers des projets éducatifs innovants comme «OKAJU Young Advisors», ou des outils de sensibilisation destinés aux professionnels, l’OKAJU met en œuvre des actions concrètes et adaptées aux enjeux actuels des droits de l’enfant. Ces activités témoignent de l’implication active de l’OKAJU dans la défense des droits des enfants, en cherchant constamment à toucher un public élargi, tout en intégrant les perspectives des jeunes dans ses démarches.
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F. La sauvegarde des droits de l’enfant – monitoring et plaidoyer
L’OKAJU met en avant l’importance de dispositifs axés sur la prévention, la justice restaurative et des mesures non privatives de liberté, tout en saluant l’engagement des professionnels. Elle priorise la mise en place d’un système de justice pour mineurs conforme aux droits de l’enfant. Dans ce cadre, un rapport réalisé avec UNICEF Luxembourg s’est penché sur les enfants en conflit avec la loi, avec un focus sur les mesures de diversion.
Essentielles pour éviter la judiciarisation, ces mesures favorisent des approches éducatives et restauratives adaptées au développement des mineurs, tout en réduisant le risque de récidive et en facilitant leur réintégration. Pourtant, leur utilisation reste limitée au Luxembourg, malgré les recommandations internationales.
L’Observation générale n°27 du Comité des droits de l’enfant a également souligné l’importance d’un système perçu comme légitime par les jeunes, offrant des alternatives à la privation de liberté et garantissant un traitement individualisé. La sensibilisation des enfants à leurs droits et l’accompagnement par des professionnels restent des enjeux majeurs. L’OKAJU continue de plaider pour des réformes juridiques et des pratiques respectueuses des droits des enfants.
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G. La protection des droits de l’enfant
Dans le cadre de sa mission de protection des droits des enfants et des jeunes, il est à souligner une évolution constante du nombre de demandes de conseil ou de réclamation. De nombreux thèmes apparaissent au détour de ces situations d’enfants pour lesquels plusieurs droits sont mis à mal. Dans le cadre de cette mission, les thématiques relatives à la famille, à l’aide à l’enfance et à la famille, les cas de violence ainsi que l’inclusion scolaire, le logement et les défis de l’immigration sont particulièrement récurrents – soulignant autant de contextes dans lesquels le bien-être des enfants est en jeu. Complémentairement à cette mission, l’OKAJU se rend également sur le terrain pour évaluer les besoins des enfants accueillis dans diverses structures. Les visites réalisées en 2023 et 2024 ont porté sur des centres socio-éducatifs, des services de santé, des foyers pour mineurs non accompagnés, des services pour enfants à besoins spécifiques, des organisations scolaires et des structures d’accueil pour nourrissons et enfants en bas âge. À ces multiples occasions, des observations ont relevé la nécessité d’être présent sur le terrain pour mettre en perspective le devoir de respecter les droits de l’enfant et pour mettre en garde sur les trop nombreux défis qui se posent en matière d’inclusion, d’accueil des nourrissons et des enfants en bas âge et d’éducation pour les enfants, plus particulièrement pour les mineurs non accompagnés.
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Rapport Annuel 2024
Défis actuels en matière des droits de l’enfant
Avant-propos
Rien à fêter : Un siècle de droits de l’enfant – Un héritage et un engagement international à l’épreuve du temps
2024 marque un tournant historique : un siècle s’est écoulé depuis l’adoption de la première déclaration internationale sur les droits de l’enfant, la Déclaration de Genève. Un siècle de luttes et d’avancées qui a culminé avec la Convention de 1989, établissant des principes fondamentaux pour la protection, la participation et le bien-être des enfants et des jeunes. Pourtant, cette commémoration appelle moins à la célébration qu’à une réflexion approfondie sur l’état actuel de ces droits, tant au niveau national qu’international.
Dans un monde marqué par l’instabilité politique, économique et sociale, nous assistons avec inquiétude à la remise en question d’acquis centenaires et à la résurgence de discours rétrogrades. Face à ces tendances, rappelons avec force que les droits de l’enfant ne sont pas négociables. Ce ne sont ni des privilèges ni de simples aspirations, mais des engagements universels et indivisibles, garantis par des traités qui s’appliquent à tous les enfants, sans distinction d’âge, d’orientation sexuelle, de croyances religieuses ou de conditions physiques et psychiques. Raison de plus pour lancer en ce jour international des droits de l’enfant une nouvelle déclaration à l’intention des responsables politiques ! (voir le texte ci-contre)
Le Luxembourg n’échappe pas à ces défis globaux. Sous la pression du climat politique international et des contraintes socio-économiques de notre époque, certains cèdent aux discours remettant en cause les acquis en matière de droits humains et sociaux.
(…)
Remerciements
Le présent rapport annuel est bien plus qu’une obligation légale de l’OKAJU en vertu de l’article 8 de sa loi organique selon laquelle « L’Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher présente annuellement à la Chambre des députés un rapport sur la situation des droits de l’enfant au Luxembourg ainsi que sur ses propres activités. » C’est avant tout la possibilité de formidables rencontres et échanges : avec des enfants, des jeunes et des familles ainsi qu’avec des professionnels travaillant avec ou au service des enfants et des jeunes à Luxembourg.
L’OKAJU remercie tout d’abord les personnes qui ont répondu à l’appel au témoignage et qui nous ont confié leurs vécus souvent douloureux. C’est avant tout la voix des victimes, survivant.es et expert.es du vécu qui feront la différence dans les débats et réformes qui s’imposent. Merci également à tous ces interlocuteurs, les professionnels et les acteurs qui ont contribué aux thèmes prioritaires sélectionnés, par leurs témoignages, expertises, informations, rapports et documentations. Il convient aussi de mentionner et d’honorer les efforts déployés par les directions, les départements ministériels, les administrations et services médicaux, éducatifs ou sociaux, respectivement, leurs collaborateurs pour fournir les informations et statistiques demandées par l’OKAJU dans le cadre du présent rapport annuel, notamment aussi dans le cadre des soins pédiatriques et de la veille des listes d’attente.
Enfin, je remercie les collaborateurs et collaboratrices de l’OKAJU ainsi que les expertes associées aux travaux de recherches, de consultations et de rédaction pour la partie thématique de ce rapport, pour leur engagement et investissement inlassables. Merci également à l’équipe de l’agence de communication Médiation S.A. sous l’égide de Netty Thines, ainsi qu’à l’imprimerie Schlimé.
Merci finalement à tous les collaboratrices et collaborateurs de l’OKAJU qui ont contribué au présent rapport et qui, par leur travail quotidien, témoignent d’un engagement indéfectible pour les droits de l’enfant.
Qu’ils soient tous chaleureusement remerciés pour leurs efforts.
Bonne lecture !
Charel Schmit
Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher